Des livres vivants au KunstenFestival
Review by Catherine Makereel
Published in Le Soir in May 2014

Emblématique des formats atypiques croisés au KunstenFestival, Mette Edvardsen vous confronte, en tête à tête, avec un livre en chair et en os.

Le KunstenFestival nous a habitées à toutes sortes de fantaisies scéniques : des performeurs dans le métro, du théâtre derrière les vitrines de magasin, des performances qui s’écoutent par téléphone. Bref, pas une édition sans un format insolite. Cette année, la palme revient à Mette Edvardsen et son Time has fallen asleep in the afternoon sunshine. Un titre tiré du livre Fahrenheit 451, dont l’artiste norvégienne s’est inspirée. Dans son célèbre roman d’anticipation, Ray Bradbury imagine une société où tous les livres ont été brûlés et où des individus, disséminés à travers le pays, ont appris par cœur les grands classiques. De la même manière, Mette Edvardsen a demandé à une quinzaine de performeurs de mémoriser un livre de leur choix, formant ainsi une bibliothèque vivante. C’est ainsi que l’on peut commander, en français La carte et le territoire de Michel Houellebecq ou Métaphysique des tubes d’Amélie Nothomb, ou bien, en anglais, Short Stories d’Oscar Wilde, ou Four Quartets de T.S. Eliot. Et si l’on préfère vivre l’expérience en néerlandais, on a le choix entre des auteurs comme Charlotte Mutsaers ou Herman Gorter. On se rend à la bibliothèque royale où l’un de ces livres vivants vous attend pour vous emmener dans un coin tranquille et se réciter à vous.

DOUCEUR DECONCERTANTE
Personnellement, nous sommes tombés sur Crash, roman hallucinant de J.G. Ballard, histoire de personnages cultivant un fantasme pervers pour les accidents de voitures. Nous voici donc assise face à ce jeune Britannique relatant avec un naturel envoûtant cette histoire pour le moins déroutante. Détails gore de membres déchiquetés, évocations de reconstitutions d’accidents célèbres comme celui de James Dean ou Albert Camus, suggestions explicites d’actes sexuels en plein carambolages : le premier chapitre de Crash, récité avec un douceur déconcertante, désarçonne forcément. Notre récitant vient de Birmingham, mais son accent est limpide, posé, sans chichis, pour dépeindre avec une précision extrême la perversion de ses personnages. « La réaction des gens varie beaucoup, nous confie-t-il, à la fin de ce face-à-face littéraire. Il y a ceux qui se penchent très fort vers moi pour ou repliés sur eux-mêmes, les yeux fermés pour mieux s’imprégner de mes mots. Et il y a ceux au contraire qui me regardent droit dans les yeux, d’un bout à l’autre, concentrés sur mon visage avec une attention palpable. Il y a ceux qui connaissent déjà le livre et ceux qui le découvrent. Je vois alors leurs sourcils se lever, au fur et à mesure qu’ils entrevoient ce contenu tout de même très violent. » S’il ne nous a lu que le premier chapitre, en une vingtaine de minutes, notre livre vivant nous avoue connaître les trois premiers chapitres, et avoir le projet d’apprendre le livre entier, pour honorer une promesse. « J’ai un spectateur qui est réalisateur et à qui il arrive de tourner des scènes d’accidents de voiture. Il a lui-même une fascination pour la chose. Je lui ai déjà lu les trois premiers chapitres, dans trois endroits différents : ici, au cinéma Galeries et au centre de la place Royale, avec l’intense circulation autour de nous. Je lui ai promis de lui lire, d’ici les dix prochains années tous les chapitres du livre : il y en a 24 ! »